On parle de plus en plus souvent de la « communication interculturelle » : dans le milieu professionnel, en sociologie, en linguistique…. Cela fait même souvent l’objet de cours dispensés à l’université dans le cadre de diplômes de langues étrangères appliquées, de négociation internationale ou de management. Partant de ce constat, nous nous sommes intéressés à un des aspects de la communication interculturelle : la politesse. Puis nous avons interrogé un public bien ciblé : les étudiants chinois qui viennent faire leurs études en France. Nous présenterons dans notre article les raisons qui nous ont poussés à nous intéresser à ce thème, la méthodologie employée ainsi que le résultat de nos travaux.
I. La communication interculturelle
La communication interculturelle est liée entre autres à la sociologie, à la psychologie et à la linguistique. Mais comment la définir précisément ? Il convient, pour répondre à cette question, de s’intéresser plus en profondeur aux deux entités qui composent cette notion : la communication et l’interculturel.
1) La « communication »
On peut définir la communication comme « la transmission de l’information d’un point à un autre, c’est-à-dire d’une source à un destinataire »[1] ; ou bien encore comme « le processus de la transmission du message de la part de l’émetteur pour le récepteur à condition de soulever chez le récepteur la signification la plus proche de celle de l’émetteur »[2] . Ces deux définitions, cependant, se heurtent à certaines limites car elles ne s’intéressent qu’à la seule transmission des informations ou des messages, de leur source vers leur destination. Or, en sociologie, la communication « détermine la qualité de la socialisation de chacun »[3]. D’un autre point de vue, dans la communication, les « relations ne seraient pas seulement de conflit, lutte et destruction, mais aussi d’intercompréhension, d’enrichissement mutuel, de co-construction de savoir et de valeurs »[4]. Enfin, les auteurs du Dictionnaire d’analyse du discours ajoutent l’idée selon laquelle le but de la communication humaine est essentiellement « de produire et interpréter du sens, que celui-ci est en grande partie implicite, ou plus exactement une combinaison d’implicite et d’explicite, de conscient et d’inconscient, d’interindividuel et d’intercollectif. »[5] Ces définitions montrent à quel point la communication est une notion large. Frank Dance et Carl Larson, dans leur ouvrage The Functions of Human Communication – a Theoretical Approach, paru en 1976, donnent 126 définitions de la communication[6]. Ils les ont recueillies dans des thèses, des livres et des revues. Trente-sept ans ont passé depuis : les définitions comptabilisées seraient probablement plus nombreuses encore aujourd’hui.
Laquelle de ces définitions conviendrait le mieux à l’idée que nous nous faisons de la communication ? Par rapport à l’objet de notre recherche, nous privilégierions la notion de communication interpersonnelle. La communication interpersonnelle est basée sur l’échange entre un émetteur et un récepteur autour d’un message. Pour les être humains, c’est la base de la vie en société. Mais la communication n’est pas qu’orale : elle est aussi non verbale. Nos gestes, notre posture, nos mimiques, notre façon d’être, notre façon de dire, notre façon de ne pas dire, toutes ces choses « parlent » au récepteur. L’étymologie du mot communication nous apprend en outre quelque chose d’essentiel : le latin communicatio − « mise en commun », « échange de propos », « action de faire part » − a été introduit dans la langue française au XIVe siècle avec le sens général de « manière d’être ensemble ». Il a été dès lors envisagé comme un mode privilégié de relations sociales[7]. Cette étymologie, mais aussi les définitions et notions présentées, nous incitent à proposer notre propre définition de la communication interpersonnelle telle que nous l’envisageons dans notre recherche : « la communication est une action d’échange d’informations et de partage de sentiments par la co-construction de savoirs et de valeurs en vue de construire l’identité de soi et la relation sociale à autrui. »
2) L’interculturel
Le mot « interculturel » est un mot apparu dans la langue française dans les années 70. Cela peut paraître récent, et pourtant, il est déjà couramment utilisé dans les médias et dans la vie quotidienne[8]. Avant d’aborder l’interculturel, il convient de nous intéresser au préalable à la notion de culture. Assurément, la notion même de culture est, elle aussi, difficile à saisir. Pour l’Encyclopédie Universalis, la culture « décrit les coutumes, les croyances, la langue, les idées, les goûts esthétiques et la connaissance technique ainsi que l’organisation de l’environnement total de l’homme »[9]. Cette définition traditionnelle s’attache plutôt aux aspects matériels ou visibles de la culture. La culture nous paraît, au contraire, être bien davantage « la description de l’organisation symbolique d’un groupe, de la transmission de cette organisation et de l’ensemble des valeurs étayant la représentation que le groupe se fait de lui-même, de ses rapports avec les autres groupes et de ses rapports avec l’univers naturel »[10]. Par ailleurs, en ethnologie, la notion de culture désigne les modes de vie d’un groupe social : « ses façons de sentir, d’agir ou de penser ; son rapport à la nature, à l’homme, à la technique et à la création artistique »[11]. Pour illustrer la notion de culturel, les trois éléments de définition de culture contiennent la notion de processus de construction de l’identité collective. Nous pourrions donc dire que la culture est indissociable de l’identité. Or : « l’identité suppose la différence : la conscience d’appartenir à une même collectivité n’émerge que face à d’autres collectivités ressenties comme » étrangères » »[12].
Si on adopte cette dernière définition de la culture, alors l’interculturel peut être défini comme constitué par les interrelations produites par la rencontre des gens pour transmettre, pour co-construire le savoir et pour échanger entre cultures de pays différents. Dans cette rencontre, les gens ressentent que l’autre est étranger, par exemple dans la convivialité, dans le processus de socialisation et dans la vie quotidienne. Nous nous en tiendrons à cette définition, et nous emploierons dans le présent article le mot interculturel au sens de : « qui transmet et co-construit une relation interpersonnelle entre les cultures différentes selon les pays ».
C’est donc ainsi que nous aborderons la communication interculturelle : « une action d’échange des informations et de partage des sentiments par la co-construction de savoirs et de valeurs pour construire l’identité de soi et la relation sociale à autrui dans une rencontre entre personnes de différentes cultures ».
II. La communication interculturelle entre les Français et les Chinois
À présent que nous avons défini plus précisément la communication interculturelle, intéressons-nous aux acteurs de la communication interculturelle qui font l’objet de notre recherche : les étudiants chinois en France. Après un bref rappel des faits et des chiffres, nous présenterons notre méthode d’investigation et ses différentes visées.
1) Constats de base
Les contacts entre la France et la Chine ont été établis de manière officielle depuis longtemps : citons notamment l’an 1687, avec les premiers missionnaires jésuites envoyés par le roi Louis XIV à la cour de l’empereur Kangxi à Pékin, et par la suite l’arrivé du christianisme en Chine. Au siècle suivant, les Français arrivent en Chine avec les armes, puis, au début du XXe siècle, des étudiants et ouvriers chinois arrivent en France[13]. Avec l’ouverture de la Chine, beaucoup de jeunes Chinois sont partis en France pour étudier ou pour faire des stages. Entre 1996 et 1997, on en dénombrait pas moins de 1 000. Ils étaient environ 5 500 entre 2001 et 2002, et 9 000 en 2003. Le nombre total d’étudiants chinois qui suivaient des études en France s’élevait à peu près à 30 000 en 2011, soit 10 % de l’ensemble des étudiants étrangers en France. Ils représentent aujourd’hui la deuxième population d’étudiants étrangers et pourraient bientôt arriver en tête. En termes de flux, 10 000 étudiants chinois environ partent pour la France chaque année[14].
2) Interrogations de départ et hypothèses
À partir de ce constat, nous nous sommes rapidement demandé quelles étaient les difficultés − d’ordre linguistique ou culturel − que les étudiants chinois pouvaient rencontrer en France. Quelle est l’évolution de leur adaptation dans ce monde inconnu ? Comment se présente cette adaptation à une langue, une culture, des habitudes, un mode de vie différents ? Quelles sont les compétences nécessaires pour établir une communication interculturelle efficace ?
Nous avons choisi la politesse comme porte d’entrée pour concrétiser une compétence de la communication interculturelle. La politesse est l’ensemble des règles définissant ce qui se fait ou ne se fait pas dans une société donnée. En tant que manière d’être ou d’agir, la politesse se glisse dans toutes les manifestations de la vie sociale. Elle peut être considérée comme la grammaire des comportements humains de la société. Les règles et les critères de la politesse sont souvent différents d’une société à l’autre et d’une culture à l’autre.[15]
Ces interrogations ont débouché sur deux hypothèses :
– entre des cultures éloignées, les valeurs culturelles différentes liées aux pratiques de la politesse génèrent des difficultés
– la compétence culturelle liée aux situations de communication entre les étudiants chinois et les Français consiste à savoir hiérarchiser les non-dits et à identifier les malentendus culturels
3) Méthodologie
Nous avons tout d’abord mené une enquête préliminaire sous forme de questionnaires et d’entretiens qui nous a permis de recueillir un certain nombre d’informations sur le thème de la politesse dans la communication entre les étudiants chinois et les Français. Ces questions portaient sur leurs expériences, leurs difficultés, leur ressenti par rapport à la politesse. Toutes les formes d’expression de la politesse ont été abordées : les rituels, le langage verbal, le langage non verbal, les comportements, les attitudes… Après avoir fait des pré-enquêtes non directives, et répertorié les éléments constitutifs de la notion de politesse, nous avons décidé d’utiliser une méthode semi-directive dans le cadre d’une démarche clinique.
A l’origine, le mot clinique était employé dans le domaine de la médecine pour désigner un processus de construction d’un nouveau savoir afin d’appréhender la souffrance, la douleur et le malaise du patient. Cependant, de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, du fait du développement de la physique et de la chimie, le sens du mot clinique a évolué en médecine. En France, en 1926, dans La Représentation du Monde chez l’Enfant, Jean Piaget recourt à l’idée de la « clinique » pour éclairer le processus de construction du savoir chez les enfants par l’entretien clinique. En 1949, Daniel Lagache, cité par Monique Plaza, a défini la psychologie clinique comme une « discipline » fondée sur « l’étude approfondie des cas individuels ». Selon Martine Lani-Bayle, la démarche clinique est particulièrement intéressante « dans la mesure où elle est au plus proche du vécu des situations étudiées (elle sert donc la professionnalisation) et se montre en soi productrice de savoirs »[16]. La notion de clinique en sciences humaines vise la relation interpersonnelle comme compagnon ou partenaire pour co-construire le nouveau savoir. Elle vise à produire un savoir ou la co-construction d’un savoir que la personne a déjà acquis, par l’observation, l’entretien et l’analyse du texte par le chercheur. On peut dire que l’entretien clinique est divisé en deux parties : la pratique et la recherche. L’entretien clinique en pratique est un échange de paroles pour co-construire les savoirs nouveaux pour la personne, il aboutit ensuite au diagnostic, au conseil… En employant l’entretien comme méthode de recherche, c’est-à-dire en interrogeant les étudiants chinois sur leurs difficultés et leur façon de les résoudre, nous avons tenté de comprendre la façon dont ils s’étaient adaptés. L’entretien clinique nous a également permis d’apporter des réponses pour la co-construction d’un nouveau savoir.
Nous avons effectué 10 entretiens semi-directifs avec dix étudiants chinois (5 garçons et 5 filles). Parmi eux, quatre vivaient en France depuis moins d’un an, quatre depuis deux ans, deux depuis plus de trois ans. Tous les étudiants avaient un niveau d’études de Bac +2 à Bac +5. Nous avons également utilisé un questionnaire pour notre enquête, distribué beaucoup plus largement, qui nous a permis de faire des recoupements avec les résultats des entretiens[17]. Ce questionnaire comprenait deux parties : une partie classique (âge, sexe, ville d’origine, spécialité étudiée, durée et raisons du séjour en France, langues étrangères apprises et parlées, autres séjours à l’étranger, entourage et amis…), l’autre partie portait sur la politesse, l’objectif étant de connaître les points qui semblaient les plus difficiles aux étudiants chinois et leur rythme d’adaptation.
III. Quelques résultats d’analyse
Nous allons à présent offrir une synthèse de nos résultats d’analyse, élaborés à partir de l’étude des réponses données dans les questionnaires et lors des entretiens. Seuls les points principaux et les plus régulièrement évoqués par le public interrogé seront présentés.
1) Analyse statistique des données
Pour analyser les données recueillies par les questionnaires, nous avons utilisé le programme d’analyse statistique SPSS[18]. Il est ressorti des questionnaires les données suivantes :
– 94 % des étudiants chinois n’avaient pas d’expériences de voyage ou d’autres séjours à l’étranger avant de venir en France
– avant de venir en France, 50% des étudiants connaissaient un peu l’histoire de France, 50% un peu la géographie, 45,8% un peu la littérature, 48,6% un peu la culture, et 22,2 % un peu la politique. Parmi les 72 étudiants chinois interrogés, seulement 7% estimaient bien connaître la France.
– les résultats montrent que les étudiants chinois ont éprouvé des difficultés d’importance décroissante face à l’adaptation à la politesse française après leur arrivée. Les difficultés les plus importantes au début du séjour concernent les compliments et les félicitations, la bise, la conception du temps, les horaires (rendez-vous). Viennent ensuite les gestes et les regards, les invitations, les relations parents-enfants, puis les remerciements et les excuses, la politesse publique, les relations professeur-étudiant et homme-femme. Les difficultés des étudiants chinois évoluent avec le temps, leur capacité d’adaptation s’améliore petit à petit dans tous les domaines, surtout en ce qui concerne les salutations, les remerciements et la politesse en public. L’adaptation est moins rapide en ce qui concerne le rythme et la conception du temps, les horaires, la relation parents-enfants et l’invitation.
– enfin, pour qualifier la politesse chinoise, les étudiants ont choisi en premier les termes de hiérarchie, et en second le terme de vertu morale. En ce qui concerne la politesse française, leur choix s’est porté en premier sur le terme de règle sociale et en second sur le terme de formalité.
2) Bilan des entretiens
Plusieurs choses sont ressorties des entretiens individuels menés dans notre démarche clinique. Nous avons interrogé les étudiants chinois sur les différents aspects de la politesse, qu’il s’agisse du langage verbal ou bien du langage non verbal. Gregory Bateson affirme en effet que 80% de la communication est non-verbale, c’est-à-dire qu’elle est élaborée à partir de décryptage de signes visuels ou auditifs, porteurs de sens sémiologique, mais qui ne sont pas analysables au niveau linguistique[19]. Nous nous sommes également intéressés à la représentation du système de valeurs. Voici les principales constatations qui sont ressorties de l’analyse des réponses :
– mots de politesse : la différence de structure linguistique entre les langues chinoise et française accentuent la difficulté d’adaptation. Mais l’explication linguistique n’est pas la seule valable. C’est toute la conception sociale du langage qui diffère. L’analyse des interactions rend particulièrement bien compte de la structure sociale et des hiérarchies : choix du vouvoiement ou du tutoiement, petits mots de politesse, salutations, remerciements, excuses et compliments… Par exemple, 55% des étudiants chinois estiment que le choix entre le tutoiement et le vouvoiement est difficile, pour des raisons grammaticales et sociales. Ils trouvent par ailleurs les Français plus polis dans la vie quotidienne que les Chinois, avec beaucoup de « merci », « excusez-moi », « s’il-vous-plaît » qui ne sont utilisés en Chine que dans un cadre professionnel ou pour des raisons importantes.
– désaccord dans l’interaction : tout comme le jeu, les échanges communicatifs sont à la fois coopératifs et compétitifs[20] . Les intervenants sont à la fois des collaborateurs et des concurrents lors d’un échange. Aux yeux des étudiants chinois, le désaccord exprimé par les Français est direct, parfois même brutal, par des « Non, je ne suis pas d’accord ! » « Non, ce n’est pas possible ! » qui peuvent parfois les choquer. En effet, les Chinois préfèrent souvent sourire et se taire que de contredire leur interlocuteur.
– la bise : la principale difficulté ressentie par les étudiants chinois est de « faire la bise ». Comme l’explique une étudiante chinoise : « Au début je trouvais la bise très gênante. En effet, aux yeux des Chinois, seuls les amoureux ou les époux se font la bise. Alors que pour les Français, c’est un rituel de politesse, une salutation. »
– le regard : 32% des étudiants interrogés ressentent une différence d’attitude dans le regard que l’on porte sur l’autre. Surtout les étudiantes. « En Chine, quand on se parle, on regarde en général vaguement son interlocuteur et même parfois de côté : on ne fixe pas son regard sur le visage de l’autre. En France, les gens aiment bien parler en se regardant dans les yeux. Quand les Français me parlent, à la fac, dans la rue ou dans les magasins, je sens qu’ils fixent leurs yeux sur moi, je m’imagine que leur regard est agressif, en fait, je ne sais pas trop comment l’interpréter. Je le supporte mal, parfois j’ai un peu peur. »
– la conception du temps : la compréhension des systèmes temporels différents est d’une importance vitale dans les échanges interculturels. Cette importance est souvent soulignée, comme l’affirme Edward Hall : « Chaque culture a ses cadres temporels, à l’intérieur desquels fonctionnent des modèles qui lui sont particuliers, ce qui constitue un facteur de complication des rapports interculturels »[21]. Les étudiants chinois interrogés soulignent qu’en France, toutes les occasions de la vie sont prétextes à prendre rendez-vous, et qu’il faut souvent se rendre deux fois au même endroit pour régler une affaire, notamment pour les démarches administratives. Pour des rendez-vous personnels, les Français sont souvent en retard. Mais lorsqu’on se rend dans une famille française, il est préférable d’arriver un peu en retard. En Chine, c’est le contraire : nous arrivons souvent un peu en avance pour offrir notre aide, ce qui est un gage de politesse. De plus, les horaires d’ouverture des magasins en fin de semaine et les jours fériés sont aussi différents : en France, les magasins ferment généralement le dimanche et les jours fériés, alors qu’en Chine, ils ouvrent surtout ces jours-là. Ces différences d’horaires dans la vie quotidienne perturbent le mode de vie des étrangers et les oblige à modifier leur rapport au temps.
– les valeurs : le système de valeurs se traduit naturellement dans la politesse, puisque la politesse fait partie des normes sociales. Les étudiants chinois notent que les Français prêtent une grande attention à la politesse dans la vie quotidienne, que saluer autrui est très important. Les Français sont à leurs yeux plus ouverts que les Chinois, ils expriment directement leurs sentiments. Les relations parents-enfants sont plus souples, le concept de hiérarchie moins strict. La politesse chinoise est plus implicite, elle se traduit le plus souvent à travers le comportement, par des gestes d’attention, d’aide et de soutien.
IV. Pour une compétence interculturelle
A partir de ce bilan, nous nous proposons d’aller un peu plus loin dans notre démarche et d’apporter des solutions pour améliorer la compétence interculturelle des étudiants chinois en France dans le domaine de la politesse. Le problème de la compétence culturelle − ou interculturelle − est depuis longtemps un sujet de débat entre sociologues et linguistes. Il est devenu un enjeu encore plus important avec la mondialisation. Dans ce contexte, il est important de l’étudier plus en profondeur, pour comprendre les difficultés ressenties par les différents acteurs de la communication interculturelle, et pour envisager des pistes qui permettraient d’y remédier.
1) Conseils des étudiants
Voici les conseils donnés par les étudiants chinois interrogés pour s’adapter à la politesse française lorsqu’on arrive en France pour la première fois :
– entrer en contact avec les Français de façon amicale
– s’adapter aux règles de politesse française et les accepter
– bien apprendre la langue française car la politesse française repose en grande partie sur le langage verbal
– saluer volontiers et apprendre à s’excuser
– respecter autrui, bien utiliser les petits mots de politesse
– ne pas parler trop fort en public
– être attentif aux personnes âgées et aux femmes.
Trois points en particulier se dégagent des réponses données par les personnes interrogées pour une meilleure communication interculturelle : la connaissance de soi, l’ouverture à l’altérité et l’empathie. Nous allons les présenter plus en détail.
2) Des qualités indispensables à une bonne communication interculturelle
Tout d’abord, une meilleure connaissance de soi-même aide à relativiser son propre système de valeurs et à maîtriser des catégories descriptives propres à la mise en relation des cultures maternelle et étrangère. La compétence de la communication interculturelle vise à prendre conscience de ses représentations du monde, de ses priorités et de ses valeurs : « Cette mise en relation conduite de cultures en contact, en rapprochant des valeurs différentes (celles de la culture-cible et celles de la culture source) devrait permettre à l’apprenant de prendre appui sur le système de référence de l’autre, pour relativiser le sien et mettre en question le bien-fondé de ses comportements et de ses choix convenus. »[22]
Ensuite, l’ouverture à l’altérité. Elle fait partie du domaine de l’attitude, attitude qui dépend de la compétence socio-culturelle. Elle est liée à la compétence linguistique tout en étant indépendante. Comme l’indiquent Michael Byram et Geneviève Zarate : « il existe des attitudes et des savoirs pratiques que l’on peut acquérir dans le contexte d’une langue particulière, mais qui ne sont pas propres à cette langue, par exemple, la volonté de relativiser son point de vue et son système personnel »[23]. L’ouverture vers d’autres cultures, c’est « acquérir une disponibilité pour le contact non conflictuel avec l’autre, savoir repérer les effets ethnocentriques dans un document provenant de la culture de l’apprenant, connaître plusieurs mécanismes d’influence étrangère dans son pays, savoir identifier et utiliser plusieurs stratégies de contacts avec un étranger, connaître les différentes étapes de l’adaptation dans un séjour de longue durée à l’étranger »[24].
Enfin, la tolérance et l’empathie : la tolérance est indispensable pour une bonne communication interculturelle. Comme l’indique Robert Galisson : « Les finalités éducatives visent les dimensions intellectuelle, esthétique et morale. La tolérance est une aptitude favorisée par l’ouverture et la compréhension. […] l’incompréhension et la peur ne peuvent amener à la tolérance. Nous prônons donc une tolérance qui ne soit pas de l’indulgence, mais de la compréhension, une tolérance active qui respecte l’autre et va au devant de lui, une tolérance à construire jour après jour dans la mesure où elle n’est pas un don de nature. »[25] L’empathie pour sa part est une aptitude à se mettre à la place de l’autre. C’est à partir de la compréhension et de l’acceptation des sentiments d’autrui que se développe l’empathie. Dans la communication interculturelle, nous remarquons que, souvent, les interlocuteurs observent, analysent et jugent l’altérité à partir des habitudes, des normes et des valeurs propres à leur culture, ce qui entraîne des incompréhensions et des malentendus. Apprendre progressivement à penser et à agir autrement doit devenir un des objectifs de la compétence interculturelle.
Conclusion
Cette étude et les résultats que nous avons obtenus et analysés nous ont permis de comprendre quelles étaient les difficultés rencontrées par les étudiants chinois vis-à-vis des règles de politesse françaises, mais aussi de voir comment ils s’étaient adaptés à ces règles petit à petit. D’une façon générale, les étudiants chinois font preuve de bonne volonté, ils observent, ils n’hésitent pas à poser des questions pour mieux comprendre les différences, ils se refont une image de la politesse française plus proche de la réalité, ils prennent conscience de leurs propres habitudes de politesse, ils s’interrogent sur eux-mêmes, ils s’ouvrent aux autres, ils se montrent tolérants, et ce dans un but unique : améliorer leur compétence en communication interculturelle. C’est bien grâce aux rétroactions de l’interlocuteur que l’on peut construire une compréhension de ce qui se fait ou ne se fait pas : cela évite des incompréhensions culturelles et permet d’établir un véritable dialogue interculturel.
NI Chunxia
[1] Cf. H. Bloch et ali, Grand dictionnaire de la psychologie, Paris, Larousse, 1996, p. 145.
[2] Cf. A. Molajani, Dictionnaire de sociologie contemporaine, Paris, Zagros, 2004, p. 35.
[4] Cf. P. Charaudeau, D. Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 109.
[6] Cf. F. Dance, C. Larson, The Functions of Human Communication: A Theoretical Approach, Holt, Rinehart and Winston, 1976, 206 p.
[7] Cf. Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2012, p. 781
[8] Plus d’un million d’entrées sur Google.
[9] Cf. Encyclopédie Universalis, Article « culture », Paris, Universalis version électronique, 2003.
[11] Cf. J. R. Ladmiral, E. M. Lipiansky, La communication interculturelle, Paris : Armand Colin, « Bibliothèque européenne des sciences de l’éducation », 1999, p. 8.
[13]Cf. M. Detrié, France-Chine, quand deux mondes se rencontrent, Paris : Gallimard, Col. Culture et société, 2004, p.4
[16] Lani-Bayle M., La démarche clinique en formation et recherche, in Chemins de formation n° 10-11, Paris : Téraèdre, 2007.
[17] 100 questionnaires ont été distribués. Cette enquête a pu réussir grâce à mes amis chinois et à mes étudiants qui ont distribué les questionnaires à leurs proches et connaissances.
[18] Le SPSS (Statistical Package for the Social Sciences) est un logiciel utilisé pour l’analyse statistique.
[19] Cf. G. Bateson, Steps to an Ecology of Mind, Chicago: University of Chicago Press, 1972.
[20] Cf. G. Kerbrat-Orechion, Les interctions verbales, Paris, A. Colin, 1992, p. 147.
[21] Cf. E. Hall, Le langage silencieux, Paris, Seuil « Points Essais », 1984, p. 11-12
[22] Cf. R. Galisson, « D’hier à demain : l’interculturel à l’école », in Etudes de linguistique Appliquée, Paris, Didier Erudition 1994, p. 25.
[23] Cf. M. Byram et G. Zarate, « Définitions, objectifs et évaluation de la compétence socio-culturelle », in Le Français dans le Monde (N°hors-série : Apprentissage et usage des langues dans le cadre européen), Paris, Hachette, juillet 1998, p. 72.
[25] Cf. R. Galisson, « D’hier à demain : l’interculturel à l’école », op.cit. p. 16.