Rencontre-conférence avec l’écrivain taïwanais Wuhe: « oppression et résistance – les évènements de Musha dans « Les survivants »

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Nous avons le plaisir de vous convier

le jeudi 1er octobre à 17h30 en salle B308 (Université Paul-Valéry Montpellier) :

le département de chinois recevra l’écrivain taïwanais WUHE

pour une rencontre-conférence  :

OPPRESSION ET RÉSISTANCE – LES ÉVÈNEMENTS DE MUSHA DANS « LES SURVIVANTS »

Diapositive1

Entrée libre en fonction des places disponibles

Jade, or et porcelaine

COLLOQUE  international sur le jade, l’or, la porcelaine, le luxe,  les 27 et 28 février 2015 en salle B 308 (université Paul-Valéry-Montpellier, route de Mende)
Si vous demandez le programme, voici ce que vous obtiendrez :

Vendredi 27 février

11h : Ouverture du colloque
11h15 : Chen Kuang-yi (Université nationale des Arts de Taiwan) : Objet de luxe ou objet d’art: la parodie dans l’art de Dean-E Mei.
11h45 : Isabelle Anselme (IRIEC 1) : Les signes extérieurs de richesse dans le cinéma chinois contemporain
12h15 : Christophe Commentale (Musée de l’Homme) : De la typologie du jade chinois et de sa standardisation..

12h45 : pause déjeuner

14h : Carole Thouvenin (IRIEC 1) : Le jade provenant du site de Sanxingdui.
14h30 : Hsu Cheng-fu (Taiwan) : Approche à l’orfèvrerie chinoise : la spécificité du travail de l’or sous les Han.
15h : Erik Gonthier (Musée de l’Homme) : Jade : techniques comparatives de découpe, gravure et polissage du jade
15h30 : Patrick Lesbres (IRIEC 2) : Ornements de jade portés par la noblesse aztèque

16h : pause

16h15 : Lucie Rault (Musée de l’Homme) : Jade et sonorités.
16h45 : Laurent Schroeder (Musée de l’Homme) : Objets composites archaïques en jade et bronze : étude stylistique, historique et scientifique de deux artefacts modernes.
17h15 : Solange Cruveillé (IRIEC 1) : Le disque de jade de Maître He
19h45 : Nancy Balard (IRIEC 1) : L’art de l’imitation/contrefaçon de porcelaines anciennes à Jingdezhen et le commerce qui en découle.

19h : dîner

Samedi 28 février :
9h30 : Du Lili (Université du Peuple de Chine / IRIEC 1) : Pierre de croyance et pierre de symbolique – le jade en Chine ancienne.
10h00 : Elizabeth Baquedano (University College LONDON) : L’or comme un symbole de richesse et de puissance chez les Aztèques
10h : pause
10h15 : Patrick Doan (IRIEC 1) : Le jade dans les 300 poèmes de la dynastie Tang
10h45 : Ma Jun (IRIEC 1): Etalon-or, étalon-argent — les controverses sur la construction du système monétaire moderne à la fin des Qing
11h15 : conclusion
11h30 : (éventuel) pot de fin du colloque

Venez nombreux

Patrick Doan

Marion Decome gagnante de la sélection régionale du concours « Ma thèse en 180 secondes ».

Nous sommes heureux de vous annoncer que l’une des membres du Centre de recherches sur la Chine, Marion Decome, a remporté le premier prix de la sélection régionale du concours « Ma thèse en 180 secondes » qui s’est tenue lundi 26 mai à l’Institut de botanique de Montpellier. Inspirée du concours « Three Minutes Thesis » qui a vu le jour à l’université de Queensland en Australie, cette compétition oppose des doctorants qui relèvent le défi d’expliquer en termes clairs et en trois minutes maximum le sujet et les enjeux de leur thèse à un public diversifié .

Marion a ainsi présenté sa thèse intitulée « La représentation des Chinois dans la littérature : 1840-1940 » lors d’une prestation largement applaudie qui a conquis le jury. Elle ira donc défendre les couleurs du collège doctoral du Languedoc-Roussillon en finale nationale le 10 juin 2014 à Lyon, où s’affronteront les gagnants de toutes les régions. 

Le ou la doctorant(e) qui remportera le premier prix à Lyon représentera l’Hexagone lors de la finale internationale francophone  les 24 et 25 septembre 2014 à Montréal.

Encore félicitations à notre grande gagnante, à qui nous souhaitons bonne chance pour la prochaine étape !

Les coulisses diplomatiques de la reconnaissance de la RPC.

A l’occasion du 50ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine, la Direction de la Communication et de la Presse du Ministère des Affaires étrangères a produit un intéressant documentaire.

Nous remercions le Pôle de Production photographique et audiovisuelle du Ministère de nous avoir contacté afin de permettre une large diffusion de ce film qui, à travers le récit de deux anciens ambassadeurs et d’une historienne, dévoile les tractations qui ont précédé cette reconnaissance diplomatique historique.

Emilie Guillerez

 

Petit mot sur Mo Yan 莫言

Nous devons ce portrait de Mo Yan, lauréat du prix Nobel de littérature 2012, à Xu Lu, actuellement étudiante en Master d’études chinoises à l’Université Paul Valéry.

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De son vrai nom Guan Moye 管谟业, Mo Yan 莫言est un écrivain chinois très particulier. Il est singulier non seulement par sa capacité à mélanger des styles différents d’écritures – du réalisme, voire hyperréalisme mélangé avec de la fantasie[1], des mythes et du surréalisme – mais aussi par sa capacité à puiser jusque dans l’âme de ses personnages pour poser des questions avec puissance et ainsi susciter les réflexions du lecteur. C’est un homme qui cache une profonde souffrance en lui et c’est cette souffrance qui alimente son feu intérieur que l’on ressent dans chacune de ses œuvres.

Il est né en 1956 à Gaomi, dans la province du Shandong, au sein d’une famille de paysans. Mais comme le grand-père de Mo Yan avait un petit bout de terrain, sa famille fut classée « paysan moyen pauvre ». A cette époque, être classé « paysan moyen pauvre » donnait une très mauvaise « origine de classe », si bien que l’enfant Mo Yan, à l’école, fut soumis à des discriminations constantes. Vers la fin des années 50, c’est la période du Grand Bond en Avant[2] en Chine où la pauvreté et la famine touchaient toute la société rurale. Lui, étant classé « paysan moyen pauvre », n’avait même pas droit aux aides alimentaires et « à cette époque, il se nourrissait d’écorce d’arbres »[3]. La discrimination politique et la faim atroce ont marqué toute son enfance comme au fer rouge. Plus tard, il revint souvent sur cette période, et la décrivit avec émotion, en disant  « qu’une enfance malheureuse est une source d’inspiration infinie »[4].

 Pour Mo Yan, la voix des pauvres et des délaissés par la société a toujours une grande importance. Ainsi il se sentait très attiré par eux, vers ces « voix oubliées ». Il voulait les faire ressortir de la terre, de la pénombre et de l’enfer… Mais dans une Chine où la culture et surtout la littérature sont encore très censurées, le meilleur moyen qu’a trouvé Mo Yan de « crier » sans toucher la susceptibilité des autorités chinoises, est d’utiliser ce style d’allusion, mélange d’une réalité que Mo Yan voudrait démontrer, avec le fantastique d’un monde imaginaire. Cela explique également la raison du choix de son pseudonyme, Mo Yan, « Celui qui ne parle pas »[5].

 Ainsi, pour fuir la pauvreté et la faim de la campagne, il est entré dans l’armée chinoise à l’âge de 20 ans. Il fit sa première publication en 1981, avec le  roman Pluie torrentielle de nuit printanière[6] et depuis, il n’a plus reposé sa plume. « Quelque quatre-vingts romans, essais et nouvelles composent son œuvre. Une partie est traduite en français, dont : Le Clan du sorgho[7], Le pays de l’alcool[8], Le Supplice de santal[9], Beaux seins, belles fesses[10] et Quarante et un coups de canon[11]»[12].

Dans la vie réelle, Mo Yan est plutôt quelqu’un de modeste, discret et accommodant, un « celui qui ne parle pas ». Mais il parle avec sa plume, avec son écriture et à travers tous ses personnages. Et quelle ampleur de liberté, quel héroïsme et quelle figure d’autorité. Dans l’histoire qu’il conte, il met souvent l’état le plus secret et le plus brut de l’âme humaine face aux lecteurs : dans toutes ses peurs, toutes ses cruautés, tous ses désirs les plus charnels, une âme à la fois si petite, si fragile et pourtant dotée d’une si grande force de vie. Et c’est avec un calme absolu et une froideur mélangée presque à un plaisir esthétique qu’il nous décrit la sanglante souffrance et la mort. Sous sa plume, la terre, la mère, le corps, toute la nature, ont pris une importance cruciale. Il nous fait faire face aux choses charnelles (le symbole des péchés) que nous avons envie de fuir depuis la nuit des temps. Sans jugement de morale et sans condamnation, il nous démontre les choses telles qu’elles sont, pour sentir, pour comprendre et pourquoi pas pour enfin pardonner.

 ( 2 )

 Le style fantastique qu’utilise Mo Yan dans ses romans est dû en grande partie à ses grands-parents durant son enfance car « c’est auprès de ses grands-parents qu’il apprendra de nombreuses histoires de contes et légendes des campagnes chinoises, pleines de démons et de fantômes »[13]. Plus tard, il avouera surtout avoir été influencé par d’anciens livres chinois comme le Liaozhai zhiyi 聊斋志异[14] ou le Fengshen Yanyi 封神演义[15] :

Quand les critiques chinois disent que son style fantastique est influencé par ce qui venait de l’étranger, Mo Yan a lui-même dévoilé le secret de son soi-disant « style  réaliste magique », qui n’est autre qu’emprunté au folklore chinois comme dans les récits de Fengshen Yanyi[16]. En d’autres termes, ceci est inspiré du roman populaire chinois et non uniquement des œuvres étrangères. Dans ces histoires folkloriques chinoises, il y a par exemple, les yeux d’une personne exorbités, puis de ses deux orbites vides, deux mains avec un œil dans chacune des paumes. Ces deux yeux magiques pouvaient regarder jusqu’à trois pieds sous terre… Dans une autre histoire, une personne était capable de laisser sa tête s’envoler de son cou et ainsi de chanter dans le ciel. Un jour, son ennemi s’est transformé en aigle, puis lui installa la tête à l’envers sur le cou, le résultat est que quand il court en avant, il recule, et quand il recule, il avance… Tous ces scénarii ont plus ou moins réapparu plus tard dans les romans de Mo Yan[17].

 Non seulement il a dévoré toutes les littératures classiques chinoises, mais aussi toutes les traductions chinoises des maîtres de la littérature mondiale, comme Faulkner[18], Garcia Marquez[19], les romanciers russes, etc. De cette manière, son écriture s’inspire à la fois de sa vie dans son village natal du Shandong et de tout ce qu’il a assimilé par ailleurs. Cela donne aussi à son style un caractère unique en Chine.

 Avec le prix Nobel que Mo Yan a obtenu et surtout après le discours qu’il a prononcé devant les membres du Comité Nobel, il a suscité des réactions de toutes sortes venues des différents milieux, notamment du milieu culturel. Certains artistes lui reprochaient d’être trop procommuniste, de par son statut de membre du parti et son titre de vice-président de l’Union des écrivains chinois (organisme officiel). De plus en mai 2012, il a fait partie des cent écrivains chinois qui ont accepté de participer à un hommage à Mao Zedong[20], où chacun des participants devait copier à la main un passage des « discours de Yan’an sur la littérature et les arts »[21]de 1942.On lui reprocha de « respirer dans la même narine » (Tong yige bikongli chuqi 同一个鼻孔里出气) que le Parti Communiste Chinois et on le soupçonna d’avoir une collaboration douce avec le régime… Voici ce qu’il a répondu lors d’une conférence de presse : «Certains disent qu’en raison de ma relation étroite avec le Parti Communiste, je ne devrais pas avoir eu le prix. Je ne trouve pas cela convaincant. Je crois que beaucoup de mes critiques n’ont pas lu mes livres. S’ils les avaient lus, ils auraient compris qu’ils ont été écrits sous haute pression et qu’ils m’ont exposé à des grands risques »[22]. Il a aussi souligné : « La politique est bien évidemment présente dans les thèmes de mes romans, mais la littérature ne doit pas avoir de responsabilité politique comme au temps de Mao Zedong »[23].

 Cela dit, il n’est pas facile de changer les choses tout en conservant son intégrité pour continuer le combat. Même si une expression chinoise dit : « Préférer être un jade brisé en morceaux qu’une tuile intacte »[24], n’est-il pas quelquefois plus sage d’économiser son énergie sur les choses futiles, comme le dit un proverbe français : « Mieux vaut plier que rompre », et de continuer à long terme, par les moyens qui sont propres à chacun, d’éveiller la conscience des masses, et ainsi de provoquer le changement là où est la source de tout problème, c’est à dire dans les abîmes cachés de chaque individu.

XU Lu 许 璐

Le roi Carl XVI Gustaf de Suède remet à Mo Yan son diplôme du Nobel et sa médaille, le 10 décembre 2012.

(Source : http://french.peopledaily.com.cn)

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 Lors de la remise du prix, le 10 décembre 2012 à Stockholm, Mo Yan accompagné de sa femme Du Qinlan.

(Source : http://french.peopledaily.com.cn)

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Mo Yan à la conférence de presse à Gaomi, son village natal, après avoir reçu le prix Nobel, le 12/10/2012.

(Source : http://www.rfi.fr)%5B25%5D

[1] « Domaine : Littérature – audiovisuel. Définition : Genre situé à la croisée du merveilleux et du fantastique, qui prend ses sources dans l’histoire, les mythes, les contes et la science-fiction. »CF.Fantasie, n.f. Journal officiel de FranceTerme (Commission Générale de Terminologie et de Néologie) du 23/12/2007. Source : http://www.franceterme.culture.gouv.fr/FranceTerme/recherche.html (consulté le 23/04/2014).

[2]Le Grand Bond en avant (Da Yue Jin), est le nom donné à une politique économique lancée par Mao Zedong et mise en œuvre de 1958 au début 1960. Cette politique a entraîné la mort de quelque 50 millions de personnes.

[3] Source : http://www.lefigaro.fr/2012/10/11/03005-20121011ARTFIG00592-le-chinois-mo-yan-prix-nobel-de-litterature.php (article du Figaro consacré à Mo Yan, prix Nobel de littérature en 2013, consulté le 19/10/13).

[4] Ibidem.

[5] Source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Mo_yan (page consacrée à Mo Yan de l’encyclopédie libre en ligne Wikipédia, consultée le 19/10/13).

[6] Mo Yan莫言, Chunye Yu Feifei春夜雨霏霏 (Pluie torrentielle de nuit printanière), Baoding, Hebei, « Lotus » (revue littéraire bimensuelle), mai 1981.

[7] Mo Yan 莫言, Le Clan du sorgho (Hong Gaoliang Jiazu, 红高粱家族), Pascale Guinot et Sylvie Gentil (trad.), Arles : Actes Sud, 1993.

[8] Mo Yan 莫言, Le pays de l’alcool (Jiu Guo 酒国), Noël et Liliane Dutrait (trad.), Paris : Le Seuil, 2000.

[9] Mo Yan 莫言, Le Supplice du santal (Tanxiang Xing 檀香行), séléctionné pour le prix Mao Dun, Chantal Chen-Andro (trad.), Paris : Le Seuil, 2006.

[10] Mo Yan 莫言, Beaux seins, belles fesses (Fengru Feitun 丰乳肥臀), Noël et Liliane Dutrait (trad.), Paris : Le Seuil, 2004.

[11] Mo Yan 莫言, Quarante et un coups de canon (Sishiyi Pao四十一炮), Noël et Liliane Dutrait (trad.), Paris : Le Seuil, 2008.

[12] Source: http://fr.wikipedia.org/wiki/Mo_yan (page de l’encyclopédie libre en ligne Wikipédia consacrée à Mo Yan, consultée le 19/10/13).

[13] Ibidem. p 1, note 3.

[14] Pu Songling (1640-1715), Liaozhai zhiyi聊斋志异(Récits extraordinaires du Pavillon du Loisir), Li Jinjia (trad.), Paris : You-feng, 2009.

[15] Xu Zhonglin (15..- ?), Fengsheng Yanyi封神演义(L’investiture des dieux), Jacques Garnier (trad.), Paris : You-feng, 2002.

[16] Idem.

[17] Traduction personnelle. Texte original : « 当中国评论家说莫言小说的魔幻手法是受到外国的影响时,莫言自己揭开了他的 “魔幻手法”之谜。他说,他的所谓“魔幻手法”,不是学外国作家的,而是借鉴自中国民间小说《封神演义》,换言之,那是得自中国民间小说的启发。中国民间故事《封神演义》里边,譬如说一个人的眼睛被人挖去了,就从他的眼窝里长出了两只手,手里又长出两只眼,这两只眼能看到地下三尺的东西。还有一个人,能让自己的脑袋脱离脖子在空中唱歌,他的敌人变成了一只老鹰,将他的脑袋反着安装在他的脖子上,结果这个人往前跑时,实际上是在后退,而他往后跑时,实际上是在前进。这些场景,都在莫言后来的小说重复出现了。 » Source : http://culture.ifeng.com/1/detail_2013_02/15/22150878_0.shtml. (Consulté le 20/10/13).

[18] William Faulkner (1897-1962) est reconnu comme l’un des plus grands écrivains américains de tous les temps. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1950. Il est probablement l’écrivain américain qui a eu le plus d’influence sur la littérature contemporaine, et en France, en particulier.

[19]Gabriel Garcia Marquez (1927- ) est un écrivain colombien, il a reçu le prix Nobel de littérature en 1982, et est l’un des auteurs les plus significatifs du XXe siècle. Son nom est associé fréquemment au « réalisme magique », genre qui insère des éléments magiques et des éléments surnaturels dans des situations se rattachant à un cadre historique et géographique avéré.

[20] Mao Zedong 毛泽东 (1893-1976), plus connu en français sous la transcription de Mao Tsé-toung, est un homme d’État et chef militaire chinois, fondateur et dirigeant de la République populaire de Chine.

[21]Un célèbre discours de Mao Zedong prononcé pendant la réunion des artistes et écrivains à Yan’an, une ancienne base révolutionnaire, le 23 mai 1942, annonce le contrôle des créations artistiques et littéraires de la Chine communiste.

[22] Source : http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20121012.OBS5557/les-dissidents-chinois-n-aiment-pas-mo-yan.html. (Article du Nouvel Observateur consacré à Mo Yan, consulté le 20/10/13).

[23] Source : http://www.rue89.com/2013/02/02/apres-la-polemique-sur-le-nobel-de-mo-yan-si-lisait-ses-livres-239194. (Article de rue89 consacré à Mo Yan consulté le 20/10/13).

[24]Ningwei yu sui, bu wei wa quan 宁为玉碎,不为瓦全 (Mieux vaut rompre brillamment que de plier humilié).

Les Chinois et l’âge d’or des comics américains [中国人与美国漫画的黄金时代]

L’âge d’or de la bande-dessinée américaine, qui s’étend de la fin des années 1930 (création de Superman, 1938) au début des années 1950 (apparition du Comics Code Authority, 1954) a donné naissance à quantité de super-héros dont le succès ne se dément pas. Ceux-ci prennent le relais, sous forme de bande-dessinée, des héros nés avec le roman populaire à la fin du XIXe siècle et au début du XXe : Sherlock Holmes (1854), Rocambole (1857), Arsène Lupin (1905), Tarzan (1912), Zorro (1919)… mais aussi des héros plus sombres : Fantômas (1910), et notre méchant chinois par excellence, Fu Manchu (1912)…

En effet, les personnages chinois trouvent une place de choix dans les cases des comics. Mais force est de constater qu’à part quelques très rares exemples dissidents, on ne rencontre que deux types de personnages bien distincts : les Grands Méchants, et les jeunes acolytes au service d’un Gentil occidental.

Dès les premiers temps du comic américain, on voit apparaître des personnages de méchants chinois, comme c’est le cas dans Flash Gordon qui combat pour sauver la planète de l’ignoble Ming the Merciless. Calqués sur le modèle de Fu Manchu, ces anti-héros combinent les mêmes caractéristiques : très éduqués, parfaitement intégrés à la société américaine (ils parlent parfaitement anglais et portent le costume occidental lorsqu’ils sortent), ces « masterminds » sont suprêmement intelligents : c’est le cas de Chen Chang (Mystery Men Comics (#1-24), Green Mask #5-6)), The Mandarin (Blue Ribbon Comics #22), Mad Ming (Funny Pages #36), ou encore Chung Hang (Fight Comics #1-30), tous apparus entre 1940 et 1942. Très inspirés du Péril jaune, ces personnages sont généralement à la tête d’un gang (The Black Mandarin, Mad Ming…), ou mieux, d’une organisation secrète aux multiples ramifications (le Si-Fan de Fu-Manchu, le Conseil des Sept auquel appartient Great Question (Amazing Man Comics #5-26), le « Green Claw Triad » (Mystery Men #10, 1940)). Ah Ku, Princess of Crime, l’un des rares personnages féminins parmi les Méchants, règne également sur un réseau d’immigrés illégaux à New York.

Professeur_Octopus

On trouve également des méchants plus fantaisistes, comme le Professor Octopus (Four Favorites #1), qui dispose de quatre bras et de griffes, ou de Nang Tu, grande prêtresse veillant sur un diamant géant au milieu de l’Himalaya.

Figure de l’envahisseur par excellence, il faut mentionner la récurrence du personnage de Genghis Khan qu’on retrouve dans les comics tout au long du XXe siècle (Smash Comics #67, Fight Comics #81, True Comics #82, Horrific #4, Pep Comics #48, Thrilling Comics vol. 10 #3, Captain Marvel Jr. #8, Air Fighters Comics #4, Captain Midnight #58, Master Comics #73…) avec une très grande liberté historique (Genghis Khan s’allie aux nazis, se bat contre des aliens, est à la tête d’un commando d’oiseaux géants…) Rarement présenté comme un personnage initial du comics, Genghis Khan est une figure que l’on invoque, à qui l’on fait appel, et qui s’allie aux méchants, en fonction des circonstances. On retrouve également quelques descendants auto-proclamés (Jungle Comics#2, Minute Man #2), et même une apparition d’un ancêtre du grand Khan (Smash Comics #35).

Apparaissant pour la plupart entre 1939 et 1942, ces comics font la part belle à la lutte contre les Japonais. Chez les méchants, on trouve « The Mallet », un espion Japonais ayant infiltré l’armée chinoise et qui agit avec son acolyte chinois Tiang (Daredevil Comics #11), The Black Mandarin (Whiz Comics #34), un Japonais se faisant passer pour un Chinois et menant une organisation criminelle en Chine, et Professor Octopus, qui travaille pour les Japonais.

Du côté des gentils, il s’agit également de se battre contre les Japonais, mais pas tout seul. Le bon Chinois est un personnage secondaire qui aide le héros occidental dans son combat : c’est le cas de Wing Lee, boy patriot, qui assiste l’Américain Bill Anderson (Blue Beetle #21), ou des troupes chinoises en général qui suivent « Red » McGraw, qu’ils surnomment « The Dragon » (Doll Man #2-6).  L’union contre l’adversité japonaise est aussi l’occasion de nouer de grandes amitiés. C’est ainsi que Burma Boy, sauvé des Japonais par Green Turtle (Blazing Comics #1-5), devient son fidèle allié, ou que Chop Suey, ayant secouru Captain Aero, entre à son service (Captain Aero Comics #15-20). Fidèles et dévoués, les personnages chinois sont abonnés aux rôles d’assistants : Wing Ding accompagne le détective Link Thorne (Airboy Comics), Zee est au service de Marvelo (Big Shot Comics), Ah Choo travaille pour le très musclé Great Defender (Hit Comics #18-34), Wong Lee est le jeune ami de Bobby Benson (The H-Bar-O Rangers) et Chop Chu l’assistant de Pen Miller (Crack Comics #23-59 et National Comics #1-22).

On trouve néanmoins de très rares « Grands gentils » chinois, comme Fu Chang (Pep Comics #1-11), qui combat le crime à San Francisco, ou le très original détective Dr Fung, qui renverse les codes en luttant pour le bien avec un jeune acolyte américain, Dan Barrister, et des blagues sur les citations confucéennes. A notre connaissance, un seul personnage occidental agit pour le bien sous un déguisement chinois, Barry Moore, créé par Henry Campell, et qui combat le crime en se faisant passer pour un warlord chinois, sous le nom de Scarlet Seal (Smash Comics #16).

Ah-Ku

Marion Decome

Une compétence de communication interculturelle : adaptation des étudiants chinois à la politesse française 跨文化交际能力:中国学生如何适应法国礼仪

On parle de plus en plus souvent de la « communication interculturelle » : dans le milieu professionnel, en sociologie, en linguistique…. Cela fait même souvent l’objet de cours dispensés à l’université dans le cadre de diplômes de langues étrangères appliquées, de négociation internationale ou de management. Partant de ce constat, nous nous sommes intéressés à un des aspects de la communication interculturelle : la politesse. Puis nous avons interrogé un public bien ciblé : les étudiants chinois qui viennent faire leurs études en France. Nous présenterons dans notre article les raisons qui nous ont poussés à nous intéresser à ce thème, la méthodologie employée ainsi que le résultat de nos travaux.

 I.        La communication interculturelle

 La communication interculturelle est liée entre autres à la sociologie, à la psychologie et à la linguistique. Mais comment la définir précisément ? Il convient, pour répondre à cette question, de s’intéresser plus en profondeur aux deux entités qui composent cette notion : la communication et l’interculturel.

1)      La « communication »

 On peut définir la communication comme « la transmission de l’information d’un point à un autre, c’est-à-dire d’une source à un destinataire »[1] ; ou bien encore comme « le processus de la transmission du message de la part de l’émetteur pour le récepteur à condition de soulever chez le récepteur la signification la plus proche de celle de l’émetteur »[2] . Ces deux définitions, cependant, se heurtent à certaines limites car elles ne s’intéressent qu’à la seule transmission des informations ou des messages, de leur source vers leur destination. Or, en sociologie, la communication « détermine la qualité de la socialisation de chacun »[3]. D’un autre point de vue, dans la communication, les « relations ne seraient pas seulement de conflit, lutte et destruction, mais aussi d’intercompréhension, d’enrichissement mutuel, de co-construction de savoir et de valeurs »[4]. Enfin, les auteurs du Dictionnaire d’analyse du discours ajoutent l’idée selon laquelle le but de la communication humaine est essentiellement « de produire et interpréter du sens, que celui-ci est en grande partie implicite, ou plus exactement une combinaison d’implicite et d’explicite, de conscient et d’inconscient, d’interindividuel et d’intercollectif. »[5] Ces définitions montrent à quel point la communication est une notion large. Frank Dance et Carl Larson, dans leur ouvrage The Functions of Human Communication – a Theoretical Approach, paru en 1976, donnent 126 définitions de la communication[6]. Ils les ont recueillies dans des thèses, des livres et des revues. Trente-sept ans ont passé depuis : les définitions comptabilisées seraient probablement plus nombreuses encore aujourd’hui.

Laquelle de ces définitions conviendrait le mieux à l’idée que nous nous faisons de la communication ? Par rapport à l’objet de notre recherche, nous privilégierions la notion de communication interpersonnelle. La communication  interpersonnelle est basée sur l’échange entre un émetteur et un récepteur autour d’un message. Pour les être humains, c’est la base de la vie en société. Mais la communication n’est pas qu’orale : elle est aussi non verbale. Nos gestes, notre posture, nos mimiques, notre façon d’être, notre façon de dire, notre façon de ne pas dire, toutes ces choses « parlent » au récepteur. L’étymologie du mot communication nous apprend en outre quelque chose d’essentiel : le latin communicatio − « mise en commun », « échange de propos », « action de faire part » − a été introduit dans la langue française au XIVe siècle avec le sens général de « manière d’être ensemble ». Il a été dès lors envisagé comme un mode privilégié de relations sociales[7]. Cette étymologie, mais aussi les définitions et notions présentées, nous incitent à proposer notre propre définition de la communication interpersonnelle telle que nous l’envisageons dans notre recherche : « la communication est une action d’échange d’informations et de partage de sentiments par la co-construction de savoirs et de valeurs en vue de construire l’identité de soi et la relation sociale à autrui. »

2)      L’interculturel 

 Le mot « interculturel » est un mot apparu dans la langue française dans les années 70. Cela peut paraître récent, et pourtant, il est déjà couramment utilisé dans les médias et dans la vie quotidienne[8]. Avant d’aborder l’interculturel, il convient de nous intéresser au préalable à la notion de culture. Assurément, la notion même de culture est, elle aussi, difficile à saisir. Pour l’Encyclopédie Universalis, la culture « décrit les coutumes, les croyances, la langue, les idées, les goûts esthétiques et la connaissance technique ainsi que l’organisation de l’environnement total de l’homme »[9]. Cette définition traditionnelle s’attache plutôt aux aspects matériels ou visibles de la culture. La culture nous paraît, au contraire, être bien davantage « la description de l’organisation symbolique d’un groupe, de la transmission de cette organisation et de l’ensemble des valeurs étayant la représentation que le groupe se fait de lui-même, de ses rapports avec les autres groupes et de ses rapports avec l’univers naturel »[10]. Par ailleurs, en ethnologie, la notion de culture désigne les modes de vie d’un groupe social : « ses façons de sentir, d’agir ou de penser ; son rapport à la nature, à l’homme, à la technique et à la création artistique »[11]. Pour illustrer la notion de culturel, les trois éléments de définition de culture contiennent la notion de processus de construction de l’identité collective. Nous pourrions donc dire que la culture est indissociable de l’identité. Or : « l’identité suppose la différence : la conscience d’appartenir à une même collectivité n’émerge que face à d’autres collectivités ressenties comme  » étrangères  » »[12].

Si on adopte cette dernière définition de la culture, alors l’interculturel peut être défini comme constitué par les interrelations produites par la rencontre des gens pour transmettre, pour co-construire le savoir et pour échanger entre cultures de pays différents. Dans cette rencontre, les gens ressentent que l’autre est étranger, par exemple dans la convivialité, dans le processus de socialisation et dans la vie quotidienne. Nous nous en tiendrons à cette définition, et nous emploierons dans le présent article le mot interculturel au sens de : « qui transmet et co-construit une relation interpersonnelle entre les cultures différentes selon les pays ».

C’est donc ainsi que nous aborderons la communication interculturelle : « une action d’échange des informations et de partage des sentiments par la co-construction de savoirs et de valeurs pour construire l’identité de soi et la relation sociale à autrui dans une rencontre entre personnes de différentes cultures ».

 II.     La communication interculturelle entre les Français et les Chinois

 À présent que nous avons défini plus précisément la communication interculturelle, intéressons-nous aux acteurs de la communication interculturelle qui font l’objet de notre recherche : les étudiants chinois en France. Après un bref rappel des faits et des chiffres, nous présenterons notre méthode d’investigation et ses différentes visées.

1) Constats de base

Les contacts entre la France et la Chine ont été établis de manière officielle depuis longtemps : citons notamment l’an 1687, avec les premiers missionnaires jésuites envoyés par le roi Louis XIV à la cour de l’empereur Kangxi à Pékin, et par la suite l’arrivé du christianisme en Chine. Au siècle suivant, les Français arrivent en Chine avec les armes, puis, au début du XXe siècle, des étudiants et ouvriers chinois arrivent en France[13]. Avec l’ouverture de la Chine, beaucoup de jeunes Chinois sont partis en France pour étudier ou pour faire des stages. Entre 1996 et 1997, on en dénombrait pas moins de 1 000. Ils étaient environ 5 500 entre 2001 et 2002, et 9 000 en 2003. Le nombre total d’étudiants chinois qui suivaient des études en France s’élevait à peu près à 30 000 en 2011, soit 10 % de l’ensemble des étudiants étrangers en France. Ils représentent aujourd’hui la deuxième population d’étudiants étrangers et pourraient bientôt arriver en tête. En termes de flux, 10 000 étudiants chinois environ partent pour la France chaque année[14].

2) Interrogations de départ et hypothèses

 À partir de ce constat, nous nous sommes rapidement demandé quelles étaient les difficultés − d’ordre linguistique ou culturel − que les étudiants chinois pouvaient rencontrer en France. Quelle est l’évolution de leur adaptation dans ce monde inconnu ? Comment se présente cette adaptation à une langue, une culture, des habitudes, un mode de vie différents ? Quelles sont les compétences nécessaires pour établir une communication interculturelle efficace ?

Nous avons choisi la politesse comme porte d’entrée pour concrétiser une compétence de la communication interculturelle. La politesse est l’ensemble des règles définissant ce qui se fait ou ne se fait pas dans une société donnée. En tant que manière d’être ou d’agir, la politesse se glisse dans toutes les manifestations de la vie sociale. Elle peut être considérée comme la grammaire des comportements humains de la société. Les règles et les critères de la politesse sont souvent différents d’une société à l’autre et d’une culture à l’autre.[15]

Ces interrogations ont débouché sur deux hypothèses :

–         entre des cultures éloignées, les valeurs culturelles différentes liées aux pratiques de la politesse génèrent des difficultés

–         la compétence culturelle liée aux situations de communication entre les étudiants chinois et les Français consiste à savoir hiérarchiser les non-dits et à identifier les malentendus culturels

3) Méthodologie

 Nous avons tout d’abord mené une enquête préliminaire sous forme de questionnaires et d’entretiens qui nous a permis de recueillir un certain nombre d’informations sur le thème de la politesse dans la communication entre les étudiants chinois et les Français. Ces questions portaient sur leurs expériences, leurs difficultés, leur ressenti par rapport à la politesse. Toutes les formes d’expression de la politesse ont été abordées : les rituels, le langage verbal, le langage non verbal, les comportements, les attitudes… Après avoir fait des pré-enquêtes non directives, et répertorié les éléments constitutifs de la notion de politesse, nous avons décidé d’utiliser une méthode semi-directive dans le cadre d’une démarche clinique.

A l’origine, le mot clinique était employé dans le domaine de la médecine pour désigner un processus de construction d’un nouveau savoir afin d’appréhender la souffrance, la douleur et le malaise du patient. Cependant, de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, du fait du développement de la physique et de la chimie, le sens du mot clinique a évolué en médecine. En France, en 1926, dans La Représentation du Monde chez l’Enfant, Jean Piaget recourt à l’idée de la « clinique » pour éclairer le processus de construction du savoir chez les enfants par l’entretien clinique. En 1949, Daniel Lagache, cité par Monique Plaza, a défini la psychologie clinique comme une « discipline » fondée sur « l’étude approfondie des cas individuels ». Selon Martine Lani-Bayle, la démarche clinique est particulièrement intéressante « dans la mesure où elle est au plus proche du vécu des situations étudiées (elle sert donc la professionnalisation) et se montre en soi productrice de savoirs »[16]. La notion de clinique en sciences humaines vise la relation interpersonnelle comme compagnon ou partenaire pour co-construire le nouveau savoir. Elle vise à produire un savoir ou la co-construction d’un savoir que la personne a déjà acquis, par l’observation, l’entretien et l’analyse du texte par le chercheur. On peut dire que l’entretien clinique est divisé en deux parties : la pratique et la recherche. L’entretien clinique en pratique est un échange de paroles pour co-construire les savoirs nouveaux pour la personne, il aboutit ensuite au diagnostic, au conseil… En employant  l’entretien comme méthode de  recherche, c’est-à-dire en interrogeant les étudiants chinois sur leurs difficultés et leur façon de les résoudre, nous avons tenté de comprendre la façon dont ils s’étaient adaptés. L’entretien clinique nous a également permis d’apporter des réponses pour la co-construction d’un nouveau savoir.

 Nous avons effectué 10 entretiens semi-directifs avec dix étudiants chinois (5 garçons et 5 filles). Parmi eux, quatre vivaient en France depuis moins d’un an, quatre depuis deux ans, deux depuis plus de trois ans. Tous les étudiants avaient un niveau d’études de Bac +2 à Bac +5. Nous avons également utilisé un questionnaire pour notre enquête, distribué beaucoup plus largement, qui nous a permis de faire des recoupements avec les résultats des entretiens[17]. Ce questionnaire comprenait deux parties : une partie classique (âge, sexe, ville d’origine, spécialité étudiée, durée et raisons du séjour en France, langues étrangères apprises et parlées, autres séjours à l’étranger, entourage et amis…), l’autre partie portait sur la politesse, l’objectif étant de connaître les points qui semblaient les plus difficiles aux étudiants chinois et leur rythme d’adaptation.

 III.       Quelques résultats d’analyse

 Nous allons à présent offrir une synthèse de nos résultats d’analyse, élaborés à partir de l’étude des réponses données dans les questionnaires et lors des entretiens. Seuls les points principaux et les plus régulièrement évoqués par le public interrogé seront présentés.

 1)      Analyse statistique des données

Pour analyser les données recueillies par les questionnaires, nous avons utilisé le programme d’analyse statistique SPSS[18]. Il est ressorti des questionnaires les données suivantes :

–  94 % des étudiants chinois n’avaient pas d’expériences de voyage ou d’autres séjours à l’étranger avant de venir en France

–  avant de venir en France, 50% des étudiants connaissaient un peu l’histoire de France,  50% un peu la géographie, 45,8%  un peu la littérature, 48,6% un peu la culture, et 22,2 % un peu la politique. Parmi les 72 étudiants chinois interrogés, seulement 7% estimaient bien connaître la France.

–  les résultats montrent que les étudiants chinois ont éprouvé des difficultés d’importance décroissante face à l’adaptation à la politesse française après leur arrivée. Les difficultés les plus importantes au début du séjour concernent les compliments et les félicitations, la bise, la conception du temps, les horaires (rendez-vous). Viennent ensuite les  gestes et les regards, les invitations, les relations parents-enfants, puis les remerciements et les excuses, la politesse publique, les relations professeur-étudiant et homme-femme. Les difficultés des étudiants chinois évoluent avec le temps, leur capacité d’adaptation s’améliore petit à petit dans tous les domaines, surtout en ce qui concerne les salutations, les remerciements et la politesse en public. L’adaptation est moins rapide en ce qui concerne le rythme et la conception du temps, les horaires, la relation parents-enfants et l’invitation.

–  enfin, pour qualifier la politesse chinoise, les étudiants ont choisi en premier les termes de hiérarchie, et en second le terme de vertu morale. En ce qui concerne la politesse française, leur choix s’est  porté en premier sur le terme de règle sociale et en second sur le terme de formalité.

2) Bilan des entretiens

        Plusieurs choses sont ressorties des entretiens individuels menés dans notre démarche clinique. Nous avons interrogé les étudiants chinois sur les différents aspects de la politesse, qu’il s’agisse du langage verbal ou bien du langage non verbal. Gregory Bateson affirme en effet que 80% de la communication est non-verbale, c’est-à-dire qu’elle est élaborée à partir de décryptage de signes visuels ou auditifs, porteurs de sens sémiologique, mais qui ne sont pas analysables au niveau linguistique[19]. Nous nous sommes également intéressés à la représentation du système de valeurs. Voici les principales constatations qui sont ressorties de l’analyse des réponses :

–           mots de politesse : la différence de structure linguistique entre les langues chinoise et française accentuent la difficulté d’adaptation. Mais l’explication linguistique n’est pas la seule valable. C’est toute la conception sociale du langage qui diffère. L’analyse des interactions rend particulièrement bien compte de la structure sociale et des hiérarchies : choix du vouvoiement ou du tutoiement, petits mots de politesse, salutations, remerciements, excuses et compliments… Par exemple, 55% des étudiants chinois estiment que le choix entre le tutoiement et le vouvoiement est difficile, pour des raisons grammaticales et sociales. Ils trouvent par ailleurs les Français plus polis dans la vie quotidienne que les Chinois, avec beaucoup de « merci », « excusez-moi », « s’il-vous-plaît » qui ne sont utilisés en Chine que dans un cadre professionnel ou pour des raisons importantes.

–           désaccord dans  l’interaction : tout comme le jeu, les échanges communicatifs sont à la fois coopératifs et compétitifs[20] . Les intervenants sont à la fois des collaborateurs et des concurrents lors d’un échange. Aux yeux des étudiants chinois, le désaccord exprimé par les Français est direct, parfois même brutal, par des « Non, je ne suis pas d’accord ! » « Non, ce n’est pas possible ! » qui peuvent parfois les choquer. En effet, les Chinois préfèrent souvent sourire et se taire que de contredire leur interlocuteur.

–           la bise : la principale difficulté ressentie par les étudiants chinois est de  «  faire la bise ». Comme l’explique une étudiante chinoise : « Au début je trouvais la bise très gênante. En effet, aux yeux des Chinois, seuls les amoureux ou les époux se font la bise. Alors que pour les Français, c’est un rituel de politesse, une salutation. »

–           le regard : 32% des étudiants interrogés ressentent une différence d’attitude dans le regard que l’on porte sur l’autre. Surtout les étudiantes. « En Chine, quand on se parle, on regarde en général vaguement son interlocuteur et même parfois de côté : on ne fixe pas son regard sur le visage de l’autre. En France, les gens aiment bien parler en se regardant dans les yeux. Quand les Français me parlent, à la fac, dans la rue ou dans les magasins, je sens qu’ils fixent leurs yeux sur moi, je m’imagine que leur regard est agressif, en  fait, je ne sais pas trop comment l’interpréter.  Je le supporte mal, parfois j’ai un peu peur. »

–           la conception du temps : la compréhension des systèmes temporels différents est d’une importance vitale dans les échanges interculturels. Cette importance est souvent soulignée, comme l’affirme Edward Hall : « Chaque culture a ses cadres temporels, à l’intérieur desquels fonctionnent des modèles qui lui sont particuliers, ce qui constitue un facteur de complication des rapports interculturels »[21]. Les étudiants chinois interrogés soulignent qu’en France, toutes les occasions de la vie sont prétextes à prendre rendez-vous, et qu’il faut souvent se rendre deux fois au même endroit pour régler une affaire, notamment pour les démarches administratives. Pour des rendez-vous personnels, les Français sont souvent en retard. Mais lorsqu’on se rend dans une famille française, il est préférable d’arriver un peu en retard. En Chine, c’est le contraire : nous arrivons souvent un peu en avance pour offrir notre aide, ce qui est un gage de politesse. De plus, les horaires d’ouverture des magasins en fin de semaine et les jours fériés sont aussi différents : en France, les magasins ferment généralement le dimanche et les jours fériés, alors qu’en Chine, ils ouvrent surtout ces jours-là. Ces différences d’horaires dans la vie quotidienne perturbent le mode de vie des étrangers et les oblige à modifier leur rapport au temps.

–       les valeurs : le système de valeurs se traduit naturellement dans la politesse, puisque la politesse fait partie des normes sociales. Les étudiants chinois notent que les Français prêtent une grande attention à la politesse dans la vie quotidienne, que saluer autrui est très important. Les Français sont à leurs yeux plus ouverts que les Chinois, ils expriment directement leurs sentiments. Les relations parents-enfants sont plus souples, le concept de hiérarchie moins strict. La politesse chinoise est plus implicite, elle se traduit le plus souvent à travers  le comportement, par des gestes d’attention, d’aide et de soutien.

 

IV. Pour une compétence interculturelle

             A partir de ce bilan, nous nous proposons d’aller un peu plus loin dans notre démarche et d’apporter des solutions pour améliorer la compétence interculturelle des étudiants chinois en France dans le domaine de la politesse. Le problème de la compétence culturelle − ou interculturelle − est depuis longtemps un sujet de débat entre sociologues et linguistes. Il est devenu un enjeu encore plus important avec la mondialisation. Dans ce contexte, il est important de l’étudier plus en profondeur, pour comprendre les difficultés ressenties par les différents acteurs de la communication interculturelle, et pour envisager des pistes qui permettraient d’y remédier.

1)       Conseils des étudiants

Voici les conseils donnés par les étudiants chinois interrogés pour s’adapter à la politesse française lorsqu’on arrive en France pour la première fois :

–  entrer en contact avec les Français de façon amicale

–  s’adapter aux règles de politesse française et les accepter

–  bien apprendre la langue française car la politesse française repose en grande partie sur le langage verbal

–   saluer volontiers et apprendre à s’excuser

–   respecter autrui, bien utiliser les petits mots de politesse

–   ne pas parler trop fort en public

–  être attentif aux personnes âgées et aux femmes.

 Trois points en particulier se dégagent des réponses données par les personnes interrogées pour une meilleure communication interculturelle : la connaissance de soi, l’ouverture à l’altérité et l’empathie. Nous allons les présenter plus en détail.

2)        Des  qualités indispensables à une bonne communication interculturelle

             Tout d’abord, une meilleure connaissance de soi-même aide à relativiser son propre système de valeurs et à maîtriser des catégories descriptives propres à la mise en relation des cultures maternelle et étrangère. La compétence de la communication interculturelle vise à prendre conscience de ses représentations du monde, de ses priorités et de ses valeurs : « Cette mise en relation conduite de cultures en contact, en rapprochant des valeurs différentes (celles de la culture-cible et celles de la culture source) devrait permettre à l’apprenant de prendre appui sur le système de référence de l’autre, pour relativiser le sien et mettre en question le bien-fondé de ses comportements et de ses choix convenus. »[22]

             Ensuite, l’ouverture à l’altérité. Elle fait partie du domaine de l’attitude, attitude qui dépend de la compétence socio-culturelle. Elle est liée à la compétence linguistique tout en étant indépendante. Comme l’indiquent Michael Byram et Geneviève Zarate : « il existe des attitudes et des savoirs pratiques que l’on peut acquérir dans le contexte d’une langue particulière, mais qui ne sont pas propres à cette langue, par exemple, la volonté de relativiser son point de vue et son système personnel »[23]. L’ouverture vers d’autres cultures, c’est « acquérir une disponibilité pour le contact non conflictuel avec l’autre, savoir repérer les effets ethnocentriques dans un document provenant de la culture de l’apprenant, connaître plusieurs mécanismes d’influence étrangère dans son pays, savoir identifier et utiliser plusieurs stratégies de contacts avec un étranger, connaître les différentes étapes de l’adaptation dans un séjour de longue durée à l’étranger »[24].

             Enfin, la tolérance et l’empathie : la tolérance est indispensable pour une bonne communication interculturelle. Comme l’indique Robert Galisson : « Les finalités éducatives visent les dimensions intellectuelle, esthétique et morale. La tolérance est une aptitude favorisée par l’ouverture et la compréhension. […] l’incompréhension et la peur ne peuvent amener à la tolérance. Nous prônons donc une tolérance qui ne soit pas de l’indulgence, mais de la compréhension, une tolérance active qui respecte l’autre et va au devant de lui, une tolérance à  construire jour après jour dans la mesure où elle n’est pas un don de nature. »[25] L’empathie pour sa part est une aptitude à se mettre à la place de l’autre. C’est à partir de la compréhension et de l’acceptation des sentiments d’autrui que se développe l’empathie. Dans la communication interculturelle, nous remarquons que, souvent, les interlocuteurs observent, analysent et jugent l’altérité à partir des habitudes, des normes et des valeurs propres à leur culture, ce qui entraîne des incompréhensions et des malentendus. Apprendre progressivement à penser et à agir autrement doit devenir un des objectifs de la compétence interculturelle.

Conclusion

Cette étude et les résultats que nous avons obtenus et analysés nous ont permis de comprendre quelles étaient les difficultés rencontrées par les étudiants chinois vis-à-vis des règles de politesse françaises, mais aussi de voir comment ils s’étaient adaptés à ces règles petit à petit. D’une façon générale, les étudiants chinois font preuve de bonne volonté, ils observent, ils n’hésitent pas à poser des questions pour mieux comprendre les différences, ils se refont une image de la politesse française plus proche de la réalité, ils prennent conscience de leurs propres habitudes de politesse, ils s’interrogent sur eux-mêmes, ils s’ouvrent aux autres, ils se montrent tolérants, et ce dans un but unique : améliorer leur compétence en communication interculturelle. C’est bien grâce aux rétroactions de l’interlocuteur que l’on peut construire une compréhension de ce qui se fait ou ne se fait pas : cela évite des incompréhensions culturelles et permet d’établir un véritable dialogue interculturel.

NI Chunxia


[1] Cf. H. Bloch et ali, Grand dictionnaire de la psychologie, Paris, Larousse, 1996, p. 145.

[2] Cf. A. Molajani, Dictionnaire de sociologie contemporaine, Paris, Zagros, 2004, p. 35.

[3] Ibidem.

[4] Cf. P. Charaudeau, D. Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 109.

[5] Ibidem  p.111.

[6] Cf. F. Dance, C. Larson, The Functions of Human Communication: A Theoretical Approach, Holt, Rinehart and Winston, 1976, 206 p.

[7] Cf. Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2012, p. 781

[8] Plus d’un million d’entrées sur Google.

[9] Cf. Encyclopédie Universalis, Article « culture », Paris, Universalis version électronique, 2003.

[10] Ibidem.

[11] Cf. J. R. Ladmiral, E. M. Lipiansky, La communication interculturelle, Paris : Armand Colin, «  Bibliothèque européenne des sciences de l’éducation », 1999, p. 8.

[12] Ibidem  p. 9.

[13]Cf. M. Detrié, France-Chine,  quand deux mondes se rencontrent, Paris : Gallimard, Col. Culture et société, 2004, p.4

[14] Pour plus d’informations, voir le site de l’ambassade de France en Chine : http://www.ambafrance-cn.org/CampusFrance-et-la-mobilite-encadree-en-circonscription-de-Shanghai.html?lang=fr

[16] Lani-Bayle M., La démarche clinique en formation et recherche, in Chemins de formation n° 10-11,  Paris : Téraèdre, 2007.

[17] 100 questionnaires ont été distribués. Cette enquête a pu réussir grâce à mes amis chinois et à mes étudiants qui ont distribué les questionnaires à leurs proches et connaissances.

[18] Le SPSS (Statistical Package for the Social Sciences) est un logiciel utilisé pour l’analyse statistique.

[19] Cf. G. Bateson, Steps to an Ecology of Mind, Chicago: University of Chicago Press, 1972.

[20] Cf. G. Kerbrat-Orechion, Les interctions verbales, Paris, A. Colin, 1992, p. 147.

[21] Cf. E. Hall, Le langage silencieux, Paris, Seuil « Points Essais », 1984, p. 11-12

[22] Cf. R. Galisson, « D’hier à demain : l’interculturel à l’école », in Etudes de linguistique Appliquée, Paris, Didier Erudition 1994, p. 25.

[23] Cf. M. Byram et G. Zarate, « Définitions, objectifs et évaluation de la compétence socio-culturelle », in Le Français dans le Monde (N°hors-série : Apprentissage et usage des langues dans le cadre européen), Paris, Hachette, juillet 1998, p. 72.

[24] Ibidem p. 76.

[25] Cf. R. Galisson, « D’hier à demain : l’interculturel à l’école », op.cit. p. 16.

Soutenance de thèse d’Emilie Guillerez

L’équipe du CRC au sein de l’IRIEC a le plaisir de vous annoncer que

Mme Emilie Guillerez

soutiendra publiquement sa thèse

« Le genre et la condition des femmes à l’épreuve du XXè siècle : un regard sur la littérature féminine chinoise (1919-2000). »

Le lundi 25 novembre 2013

à 14h en salle de Conférences B308 (bât. B)

à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 – Route de Mende

Depuis quand les Chinois sont-ils jaunes ? 中国人自何时起被称为黄种人 ?

le-chinois-chan

« Même avec la jaunisse et une cirrhose, je pourrais jamais passer pour un gars de là-bas » déclare Bérurier, le personnage fétiche de San Antonio, dans Tango Chinetoque[1]. La blague est unanimement comprise, le lien entre la couleur jaune et les Chinois est aujourd’hui une banalité.

Pourtant, il est facile de reconnaître que ce qualificatif n’a pas vraiment de sens et que le caractère jaune de la peau asiatique est discutable. On est en droit de s’interroger sur l’origine de ce qui est aujourd’hui devenu un lieu commun. Il faut remonter aux premiers contacts entre l’Occident et la Chine pour découvrir que le lien entre la couleur jaune et la peau des Chinois est loin d’avoir toujours été une évidence.

Les premiers voyageurs occidentaux qui décrivent les Chinois n’utilisent pas l’adjectif jaune. Marco Polo, par exemple, décrit les Chinois[2] et les Japonais[3] comme blancs. Chez Buffon, qui s’appuie, pour ses descriptions, sur les relations de voyages et les Lettres curieuses et édifiantes des Jésuites, on trouve une grande variété de nuances : pour certains observateurs, « [les Chinois] qui habitent les provinces méridionales sont plus bruns et ont le teint plus basané que les autres » et « ressemblent par la couleur aux peuples de la Mauritanie et aux Espagnols les plus basanés, au lieu que ceux qui habitent les provinces du milieu de l’Empire, sont blancs comme les Allemands. » Lorsque Buffon cite Dampier[4], il mentionne qu’ils ont « le teint couleur de cendre ». Chez un autre, les Chinois « n’ont rien de choquant dans la physionomie, ils sont naturellement blancs, surtout dans les provinces septentrionales ; ceux que la nécessité oblige de s’exposer aux ardeurs du soleil sont basanés, surtout dans les provinces du midi ». Pour Palafox[5], « les Chinois sont plus blancs que les Tartares orientaux leurs voisins », tandis qu’Innigo de Biervillas[6] juge « que les hommes […] ont le visage large et le teint assez jaune ». Buffon précise encore que « les voyageurs Hollandais s’accordent tous à dire que les Chinois […] qui sont nés à Canton et tout le long de la côte méridionale, sont aussi basanés que les habitants de Fez en Afrique, mais que ceux des provinces intérieures sont blancs pour la plupart ». Quant aux Tartares, « leur teint est rouge et basané ».

Enfin, « les Japonnais sont assez semblables aux Chinois pour qu’on puisse les regarder comme ne faisant qu’une seule et même race d’homme, il sont seulement plus jaunes ou plus bruns »[7].

Voilà donc, en 1749, un beau nuancier de couleur pour les peaux asiatiques. Le jaune est évoqué mais ne fait pas l’unanimité.

Sans titreInitiée par François Bernier en 1684, la typologie consistant à définir plusieurs races humaines en fonction de la couleur de peau est théorisée par Carl von Linné, naturaliste d’origine suédoise, en 1735. Lors de la première édition de son ouvrage Système d’histoire naturelle, dans la catégorie Homo sapiens, il identifie cinq sous-catégories : Africanus, Americanus, Asiaticus, Europeanus et Monstrosus[8].

Père du système de nomenclature binominale, Linné utilise une dénomination basée sur un nom générique suivi d’une épithète. Dès la première édition (1735), il associe donc à chaque catégorie humaine un adjectif : l’Européen blanc (Europeanus albus), l’Américain rouge (Americanus rubescens), l’Asiatique basané (Asiaticus fuscus) et l’Africain noir (Africanus niger). Une réédition en 1740 apporte des précisions sur les races, et amorce la caractérisation : cette fois, les Chinois sont jaunes pâles[9] (luridus), mélancoliques, rigides, austères, arrogants, cupides. La description scientifique et « objective » se mue en jugement. De là à établir une hiérarchie entre les races, il n’y a qu’un pas.

La postérité de Linné et Buffon est énorme et la nomenclature des races en fonction de la couleur de peau demeure : l’adjectif jaune commence à coller à la peau des Asiatiques.

Avec son Essai sur l’inégalité des races humaines, publié en 1853, Arthur de Gobineau consacre cette désignation en arrêtant les trois races humaines : blanche, jaune et noire. En tentant de légitimer scientifiquement l’infériorité des races non-blanches et en créant le type aryen, Gobineau fait passer cette désignation par la couleur au second plan. Ce sont les caractéristiques de chaque race, leur hiérarchisation, qui importent, et le mouvement des civilisations impliqué par l’ordre racial.

La science a donc prouvé que les Asiatiques étaient une race à peau jaune, et ce avec d’autant plus de crédibilité que la passion de Gobineau pour l’Asie, où il a longuement voyagé, ne laisse aucun doute quant à l’exactitude de ses connaissances. Lorsque l’écrivain haïtien Joseph Anténor Firmin publie De l’égalité des races humaines (1885), il conteste la classification de Gobineau et la hiérarchie entre les races, mais il utilise les mêmes qualificatifs pour les races : blanc, jaune et noir.

En 1895, l’Empereur Guillaume II commande le tableau Die gelbe Gefahr (« le danger jaune »), qu’il fait réaliser d’après une de ses esquisses, pour mettre en garde contre « le développement de l’Extrême-Orient et surtout le danger qui s’y cache pour l’Europe et [la] foi chrétienne »[10]. Essais, romans, vaudevilles, l’expression, immédiatement traduite (Péril jaune/ Yellow Peril) est reprise partout. Elle montre bien la nébulosité de la menace asiatique, l’indéfinition des frontières jaunes et la confusion faite par les Occidentaux entre tous les peuples d’Asie. Tous jaunes, tous identiques, la probabilité d’une coalition asiatique pour envahir l’Europe semble probable. Le jaune[11] devient à la fois une métaphore de l’Asie et une métaphore de la peur occidentale vis-à-vis de son affaiblissement.

Aux Etats-Unis, où l’immigration chinoise devient massive à partir de 1848, non seulement les problématiques d’assimilation des Chinois attisent le racisme et les représentations faciles et moqueuses des « Jaunes », mais à travers le regard des Américains qui ne savent pas les différencier, les Asiatiques acquièrent une conscience de groupe et utilisent, dès le XIXe siècle, le vocable jaune à leur sujet.

Ainsi, aussi choquant, occidento-centré et infondé que puisse être le mot jaune, on le retrouve partout dès le début du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui : aussi bien utilisé par les communautés asiatiques pour s’auto-qualifier que par les tenants des théories racistes et racialistes (Hitler parle des Jaunes d’Asie, dans Mein Kampf) ou par « l’outil chromatique » du fichier Canonge[12] des personnes recherchées utilisé par la police française.

Ironiquement, dans le monde du cinéma, les acteurs asiatiques sont les premières victimes du whitewashing, qui consiste à engager des acteurs occidentaux pour les rôles de Chinois. Une preuve qu’il est plus facile de trouver des Occidentaux au teint bilieux que des Asiatiques « ton sur ton » avec nos clichés.


[1] SAN-ANTONIO, Tango chinetoque, Saint-Amand : Fleuve noir, 1966, p. 23

[2] « Les femmes […] sont très belles à tous égards et blanches ». Marco Polo, La description du monde, La Flèche : Le livre de poche, 2002, p. 175

[3] « Le Japon […] est une île très grande. Les gens y sont blancs et ont une très belle allure ». Ibid, p. 379.

[4] Il s’agit de l’explorateur anglais William Dampier (1651-1715).

[5] L’Espagnol Juan de Palafox y Mendoza (1600-1659), évêque de Mexico et auteur de Historia de la conquista de la China por el Tartaro (Histoire de la conquête de la Chine par les Tartares), publiée en Espagne en 1670 et basée sur les récits de Chine plus ou moins fiables qui parvenaient à Mexico en passant par les Philippines. Une version française est publiée la même année.

[6] Voyageur portugais, il a publié une relation de voyage en 1736.

[7] BUFFON, Georges-Louis Leclerc, Histoire naturelle générale et particulière : avec la description du Cabinet du Roy, Paris : Impr. royale, 1749-1789, 21 vol., Tome 3, Histoire naturelle de l’homme, pp. 385-390

[8] On retient généralement uniquement les quatre premières catégories.

[9] Selon Gaffiot : jaune pâle, blême, livide, plombé

[10] Correspondance entre Guillaume II et Nicolas II, 1894-1914 [trad. Marc Semenoff], Paris, Plon/Nourrit, 1924, pp. 14-15, cité par François PAVÉ, Le péril jaune à la fin du XIXe siècle, fantasme ou inquiétude légitime ?, Thèse d’histoire contemporaine sous la direction de Nadine Vivier, Université du Maine, 2011, 296 p.

[11] Pour une analyse lexicologique du mot « jaune », voir Tournier Maurice, Les jaunes : un mot-fantasme à la fin du 19e siècle in: Mots, mars 1984, N°8. Numéro spécial. L’Autre, l’Etranger, présence et exclusion dans le discours, pp. 125-146.

[12] Le fichier Canonge, créé dans les années 1950 et légalisé par la loi de 2005, rassemble les personnes connues des services de police en les classant par caractéristiques physiques.

Brève présentation de la notion de « face » 西方与中国的“面子“概念简述

La réalisation d’un acte de langage est la plupart du temps le processus d’un choix des formules linguistiques polies ou impolies qui vont s’adapter le mieux au but illocutionnaire du locuteur. Ce processus implique donc de déterminer des stratégies de politesse dans l’interaction verbale. En 1987, Brown et Levinson[1] ont présenté leur théorie de la politesse qui est devenue depuis ce moment une des théories les plus répandues concernant la politesse du point de vue linguistique. Cette théorie a pour enjeu la notion de « face ». Ce terme a été introduit pour la première fois dans le milieu sociologique par Goffman en 1967.

« On peut définir le terme de face comme la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action que les autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact particulier. La face est une image du moi déclinée selon certains attributs sociaux approuvés, et néanmoins partageable, puisque, par exemple, on peut donner une bonne image de sa profession ou de sa confession en donnant une bonne image de soi » (Goffman 1974: 9) [2].

Cette notion n’est pas inconnue pour les Chinois. Il semble même que ce soit un concept d’origine chinoise. Arthur H. Smith, dans son livre « Chinese Characteristics » (1900 [1894])[3], a consacré le premier chapitre intitulé « face » pour décrire le rôle important de cette notion dans la communication interpersonnelle des Chinois. Il constate que « […] the Chinese have a strongly dramatic instinct. », « […] any Chinese regards himself in the light of an actor in a drama. […] Properly to execute acts like these in all the complex relations of life, is to have « face ». » (Id. : 16-17). Même si Smith n’a pas pu donner une définition explicite de la « face », ses constatations correspondent tout à fait à la théorie de la figuration (face work) de Goffman qui est apparue plus tard, ainsi également qu’à la théorie de FTA de Brown et Levinson.

En chinois, le mot « face » dans le sens figuré peut se traduire de deux façons : « 面子mian zi » ou « 脸lian ». Selon Hu (1944 : 45)[4], « 面子mian zi » représente le prestige ou la réputation reconnue dans la société à travers le succès ou l’ostentation. Ce prestige dépend de l’environnement externe, tandis que « 脸lian » se réfère plutôt au respect d’un groupe accordé à la personne qui a une bonne réputation morale. Cela signifie que la société considère que cet individu personnifie la bonne morale. Le terme « 脸lian » porte à la fois sur la société et sur l’environnement interne. C’est ainsi que les expressions comme « 不要脸bu yao lian »[5], « 脸皮厚lian pi hou »[6] … impliquent la réputation morale, alors que les expressions comme « 爱面子ai mian zi »[7], « 要面子yao mian zi »[8]… manifestent le sens du prestige social. À travers ces expressions, nous voyons bien que la face, sous l’influence du Confucianisme, est considérée comme un « fardeau » et en même temps « valorisante » dans le développement des relations interpersonnelles (Ting-Toomey, 1994 : 7)[9].

[1] Brown, P., Levinson, S.C., 1987, Politeness:  some universals in language usage, Cambridge : Cambridge University Press.

[2] Goffman, E., 1974 (trad. fr.), Les rites d’interaction, Paris : Minuit.

[3] Smith, A., 1900, Chinese Characteristics, Fifth Edition, Revised, with Illustrations, New York: Fleming H. Revell Compagny.

[4] Hu, H. C., 1944, « The Chinese concepts of “face” », American anthropologist, vol. 46, pp. 45-64.

[5] Litt. « ne pas vouloir la face », ce qui signifie « éhontée ».

[6] Litt. « avoir une peau épaisse », ce qui signifie « sans vergogne ».

[7] Litt. « aimer la face » ce qui  signifie « aimer sauveguarder les apparences ; chercher à ne pas perdre la face ».

[8] Litt. « demander la face », ce qui signifie « sauver les apparences; tenir à sa réputation; être soucieux de préserver son honneur ».

[9] Ting-Toomey, S., 1994, « Face and facework: An introduction », In S. Ting-Toomey (ed.), The Challenge of facework: Cross-cultural and interpersonal issues, New York: State University of New York-Albany Press, pp. 1-14.

Xiaoxiao XIA